FLUX

FLUX

Cette série est réalisée avec un téléviseur incapable de recevoir et de digérer le flot d’images auquel il est soumis. C’est celui que regardait mon père, atteint de la maladie d’Alzheimer. Il préférait voir ces paysages numériques abstrait plutôt que la réalité des programmes proposés par les chaines.

Dans mon travail je questionne l’impact que les médias ont sur les individus, comment le bombardement d’images et d’informations au quotidien peut influencer l’identité. Devant cet écran j’ai vu une analogie entre le fonctionnement de notre société et celui de notre cerveau qui lui aussi reçoit des signaux en permanence. Le résultat d’un flux trop important d’information dans des canaux qui ne peuvent les digérer assez vite, générant une perte de sens et de mémorisation.

J’ai décidé de faire des photos pour stopper le flux, faire un arrêt sur image, un screen shot faisant office d’état des lieux de la situation du monde. De montrer le chaos, la communication à outrance, ses excès et ses manipulations.

Mes images sont comme un palimpseste digital, montrant des images imbriquées les unes dans les autres, dans lequel chaque strate se voit dans l’autre et est transformée par l’autre. Chaque couche d’images laissant une trace, une mémoire dans la précédente ou la suivante. Les pixels semblent ne pas savoir quoi faire ni où se placer. Comme s’ils avaient perdu la mémoire de leur code d’origine, provoquant un chaos visuel proche de certaines formes d’arts abstraits.

Dans les médias on utilise aussi les pixels comme une censure, une protection contre une réalité choquante, la pixellisation pour protéger une identité, ne pas dévoiler un visage ou un logo, rester anonyme. Mais aussi pour protéger le spectateur de la dureté, de la violence d’une scène, d’une réalité qu’il ne peut supporter. Mais cela peut aussi aiguiser la curiosité, donner envie de voir et prêter à interprétations. L’apparition de pixels signifie qu’il y a quelque chose à voir qui a son importance, quelque chose que l’on ne peut montrer sans risquer de porter atteinte d’un coté ou de l’autre de l’écran à quelqu’un ou quelque chose. Dans ce cas le pixel est utilisé comme un écran, il montre et cache en même temps. C’est une façon de ne pas être confronté à une réalité, car on pixelise ce qui n’est pas acceptable.

J’imagine que c’est ce que mon père, spectateur hypersensible, replié sur lui-même, a ressenti, lorsqu’il m’a dit qu’il préférait regarder ces flux de pixels plutôt que les programmes habituels. Une protection, un refus de voir, une sorte de déni de réalité, ou bien une réalité altérée sous une forme lui permettant de la comprendre.

Cela pose la question de la perception de l’information dans notre société de surconsommation d’images. De notre façon de percevoir leur réalité, et de notre mise en perspective face à cette réalité.